Marie-Fabienne GILLE – Accompagnatrice à l’entrepreneuriat social 

Marie-Fabienne GILLE – Accompagnatrice à l’entrepreneuriat social 

Le parcours d’une feuille voyageuse

On dit souvent que la vie est faite de rencontres. Qu’elle évolue au fil des opportunités qui se présentent à nous. Un peu comme une feuille d’arbre glissant de recoins en recoins en fonction des bourrasques qui la portent. Photographe d’origine, Marie Fabienne a débuté sa carrière dans une Organisation Non Gouvernementale (ONG) défendant l’Agriculture Paysanne.

La vie faisant son œuvre, elle bifurque vers le monde de la Pédagogie. À cette époque, Marie-Fabienne venait d’intégrer un projet européen d’Éducation au Développement Durable, porté par cette même ONG. L’expérience est foudroyante. Elle se retrouve au milieu d’une tempête d’effervescence et d’innovations sociales. Des personnes, venues de tout pays, croisaient leurs idées et leurs expériences telles des rafales. Marie-Fabienne est grisée par cette aventure.

Puis le temps fait son œuvre et le vent souffle de nouveau. De rencontres en rencontres, elle accepte la mission « Territoire Environnement Emploi » d’un établissement d’enseignement agricole. A la rencontre d’entreprises innovantes, elle découvre avec curiosité le domaine d’entreprises dites « classiques ».

Ce projet terminé, elle continue par l’Animation de Développement Durable : l’objectif était de créer une dynamique entre des entreprises et des acteurs innovants en matière d’Environnement. La difficulté de cette mission, conduit notre voyageuse à s’arrêter pour réfléchir aux expériences accumulées.

La suite du voyage : la Fabrique Mozaïk

Quelques mois plus tard, en intégrant une coopérative d’activité et d’emploi, notre feuille voyageuse crée sa propre entreprise d’accompagnement à l’entreprenariat social. « J’étais convaincue qu’il existait un potentiel de projets possibles. Si on changeait d’attitude vis-à-vis des personnes concernées, il y avait des projets réalisables, qui ne l’étaient peut-être pas dans quelque chose plus formel. ».

Son accompagnement, basé sur la créativité des porteurs de projet, s’appuie sur du sur-mesure et de l’expérimentation. Cette particularité nécessite une grande confiance et carte blanche de la part de la structure d’accueil. « On aime bien dire : on va tester un dispositif qui existe et qui a fait ses preuves… Un dispositif qui n’en est pas un, qui est un truc un peu expérimental et nouveau… c’est plus compliqué. ».

Marie-Fabienne trouve finalement son premier client : le Centre Social de Vienne (Isère). Il souhaite tester sa méthode de travail sur les habitants du quartier pour créer des emplois et redynamiser la zone. « On a fait le choix de recruter les personnes sur des postes classiques. On n’est pas un chantier d’insertion. Donc du coup, il y a un sacré défi à relever ! Ça veut dire qu’il n’y a pas de subvention. On voulait leur offrir un emploi sur la durée ». Le secteur est en effet vierge de tout dispositif d’accompagnement à la création d’activité. Il fallait donc commencer par la toute première étape : trouver des habitants intéressés par la création d’une activité professionnelle commune.

Pour ce faire, le Centre Social organise un temps d’information sur cette initiative. Une vingtaine de personnes étaient intéressées au départ, mais seulement cinq femmes sont restées jusqu’au bout. Ingénieure Chimiste, Gestionnaires-comptables, ancienne Entrepreneure… chacune de ces femmes a participé aux étapes du projet. « Il y avait vraiment la volonté de se dire que ce n’est pas parce qu’on est dans un quartier, parce qu’on est avec des personnes qui sont en difficulté, qui n’ont pas travaillé depuis longtemps, voir pas travaillé, qu’on doit être obligatoirement un chantier d’insertion. Ces personnes ont des compétences qu’on va pouvoir valoriser à travers ce projet. ».

Il était ensuite nécessaire de savoir sur quoi ces femmes souhaitaient travailler. Leurs parcours et profils étant différents, il fallait quelque chose de commun mais simple à réaliser. Les habitantes concluent à la production de sacs de course en tissu. L’idée générale du projet est posée, mais à mettre en œuvre hors d’un circuit classique. « C’était difficile de laisser le projet à un circuit classique, parce qu’il y avait une confiance vis –à-vis de moi et de ces femmes, puisque c’était un projet de femmes. On avait un lien humain fort. Et puis il y avait déjà, en terme de territoire, une confiance qui était établie avec pas mal d’acteurs ».

Le petit groupe, encadré par Marie-Fabienne, réalise son étude de marché et son étude de faisabilité. Le cheminement de pensée est inhabituel : il ne s’agit pas d’évaluer un potentiel classique de marché, mais de savoir si l’activité peut créer cinq emplois et identifier les conditions de production des quantités requises. Toutefois, avec la mise en place de la loi sur la suppression des sacs plastiques en caisses, le marché du sac en tissu devient très concurrentiel. Pour différencier leur produit, les habitantes et Marie-Fabienne mettent en avant leur politique de production écologique et locale ainsi que leur histoire : le côté social et solidaire de ce sac. Pour ce faire, elles animent et organisent des rencontres avec le public. Elles prennent le temps de dialoguer avec leurs clients pour raconter l’objectif de ces sacs. « C’est à dire qu’on ne vous vend pas que des sacs, on vous vend aussi une histoire. ».

Une fois l’élaboration du projet terminée, les habitantes ne se sentent pas capables de porter seules leur projet, même au sein d’une coopérative. Marie-Fabienne est de nouveau mandatée pour travailler avec elles. Très investie, elle travaille en collaboration avec un cabinet juridique pédagogique qui lui permet d’acquérir les compétences nécessaires pour guider les choix du groupe.

Aujourd’hui l’Association créée, La Fabrique Mozaïk présente une double ambition :

  • Une activité de production de sacs en tissu et
  • Une activité de soutien et d’accompagnement à l’autonomie des entrepreneures.

Toutefois le fonctionnement de la structure associative semble plus compliqué que prévu. En effet, l’association rencontre des difficultés à mobiliser dans le quartier des volontaires pour être administrateurs. « Sur les phases de tests, plusieurs bénévoles du quartier sont venus grâce au Centre Social. Mais quand c’est la question de la prise du pouvoir, ça devient plus compliqué. [… ] On a conçu un système intéressant sur le papier, par contre il est dépendant de la volonté de quelques personnes à vouloir jouer le jeu. Or, à l’échelle d’un quartier, difficile d’avoir les bons acteurs au bon endroit. Cela oblige à envisager de sortir de l’échelle locale pour recruter des administrateurs ».

Pour faire face à ce problème, Marie-Fabienne intègre malgré elle l’équipe d’Administrateurs alors que son contrat est terminé. « Je n’ai pas pu partir du projet. Ma place était tellement forte que c’était très difficile. Et ça a même été très difficile lorsqu’il a fallu recruter des administrateurs. J’ai été obligée de devenir administratrice. Ce que je ne souhaitais pas, parce que je souhaitais éventuellement continuer à faire des missions d’appui auprès de ce projet, en tant que prestataire ».

Désormais soutenue par France Active et une experte-comptable locale, La Fabrique Mozaïk débute son activité de production. Son mode de fonctionnement, basé sur la dimension humaine, lui permet d’accumuler plusieurs commandes. « Notre modèle commercial un peu atypique est conçu essentiellement à travers une relation dans la durée, de partenariat avec un dialogue et une écoute. On parie sur l’intelligence collective pour relever le défi de vendre le plus de sacs, pour rendre ces emplois possibles. Dans une logique un peu éducative pour questionner d’autres façons de faire ».

L’association espère démontrer qu’il est possible de raisonner autrement. C’est-à-dire en imaginant une activité basée sur les compétences des participants et en montrant qu’une implication dans la création du projet est bénéfique socialement parlant, pour les collaborateurs. « En termes d’évolution, sur la personne en tant que telle, c’est vraiment très intéressant à regarder. Sur la capacité en termes d’insertion sociale de la personne, de sa place dans la société… La mettre en situation à très bien fonctionné ».

De nombreux éléments restent encore à améliorer. Par exemple, les relations avec les partenaires (le cabinet juridique, l’expert-comptable et les fournisseurs) sont uniquement basées sur une bonne entente avec les habitantes. Aucune convention n’a encore été établie. « Je trouve qu’on a tout à y gagner à faire une convention de partenariat. Pour l’instant, on est dans du donnant-donnant mais qui est informel ».

La place du Centre Social dans ce projet, est également à redéfinir. En effet, même si celui-ci est d’une grande aide pour la création et le lancement de ce projet, ce soutien peut évoluer sur le long terme. « Si le Centre Social n’avait pas pris cette initiative et porté le projet au démarrage, le projet n’aurait pas abouti… Aujourd’hui, le Centre Social va l’héberger. Donc il reste un partenaire fort. Mais après, cette entreprise, à un moment donné, il faut qu’elle soit autonome. Donc il faut que le regard porté sur elle ne soit pas forcément lié au Centre Social. Le directeur du centre peut changer, le contexte peut se modifier ».

Vers de nouveaux horizons : l’Europe ?

Au bout de deux ans d’accompagnement, Marie-Fabienne souhaite élargir son horizon de voyageuse : elle intègre la formation de Manager de Projet Européen d’Economie Sociale et Solidaire (MAPESS) et propose au groupe de partager ce nouvel horizon. Elle prend contact avec deux projets similaires en Europe : Place de Bleu (Danemark) et Yalla Trapan (Suède). Les porteurs ont aussi comme objectif d’employer des femmes de quartier issues de l’immigration et de favoriser leur intégration sociale.

L’objectif de cette rencontre est de croiser les idées et expériences de toutes ces femmes, pour appuyer les projets et valoriser les participantes sur une échelle européenne. « On a une approche en France qui est un peu lourde, très normée et cadrée. Le coté créatif est beaucoup plus ouvert dans tous les pays. C’est aussi la raison pour laquelle j’avais envie de prendre un peu d’inspiration dans d’autres pays d’Europe ».

L’atelier de Place de Bleu, Danemark. Crédit photo Marie-Fabienne Gille

Si cette idée intéresse très rapidement les Danoises et les Suédoises, c’est moins évident pour les Françaises et le Centre Social, préoccupées par l’organisation de l’Association. Marie-Fabienne ne trouve pas les financements nécessaires pour cette rencontre. Cette coopération européenne ne se réalise donc pas immédiatement, mais elle a pu les rencontrer en amont grâce au financement européen ERASMUS+ procuré par sa formation MAPESS.
À présent, les cinq collaboratrices, bénévoles depuis trois ans dans leur propre association, vont être embauchées. Le premier contrat sera signé en Septembre, et les autres suivront. Toutes les co-entrepreneures seront employées d’ici la fin de l’année 2018 et espèrent, d’ici 2021, évoluer vers le statut de Société Coopérative et Participative (SCOP).

Marie-Fabienne aimerait également, par la suite, s’associer à un(e) deuxième accompagnateur d’entreprenariat social, pour pouvoir pérenniser cette expérience. « Aujourd’hui, je tire les enseignements de cette expérience. Du coup, je vois plein de choses très intéressantes. Et j’aimerai beaucoup pouvoir les partager avec quelqu’un, quitte à m’associer. Pour pouvoir se positionner dans une vraie démarche de recherche intellectuelle. […] Ce qui m’intéresserai c’est de pouvoir la reproduire dans un autre contexte, en tenant compte des enseignements, en rectifiant certaines choses et en en testant d’autres Et surtout pas seule ».

C’est ainsi que six petites feuilles se retrouvent à travailler ensemble dans le même tourbillon. Cinq d’entre elles se posent sur un coin, en attendant que d’autres feuilles les rejoignent. Marie-Fabienne scrute l’horizon vers d’autres aventures.